lundi 27 juillet 2015

Névrose de Jung

C. G. Jung, « ce fasciste écumant » (Ernst Bloch).

« Si, comme le veut l'intention rationaliste, la névrose pouvait être arrachée comme une dent malade, le patient n'y aurait rien gagné ; il aurait même perdu quelque chose de très essentiel, comme si un penseur venait à perdre le pouvoir de douter de la vérité de ses conclusions, ou un moraliste, la tentation, ou un brave, la peur. Perdre une névrose est synonyme de perdre son objet ; la vie s'émousse et ainsi demeure vide de sens. Ce n'est pas une guérison, c'est une amputation.

Ce qui guérit une névrose doit être aussi convaincant que la névrose elle-même et cette dernière n'étant que trop réelle, l'expérience salvatrice doit être d'une grande réalité. Ce doit être une illusion bien réelle, si nous voulons employer le langage pessimiste. Mais quelle différence y a-t-il entre une illusion réelle et une expérience religieuse qui vous guérit ? Simple question de terminologie. Nous pouvons dire par exemple que la vie est une maladie dont le pronostic est bien mauvais ; elle traîne pendant des années pour se terminer par la mort. Ou encore : que la normalité est la prédominance généralisée d'une débilité constitutionnelle ; que l'homme est un animal dont le cerveau est incurablement hypertrophié. Ce genre d'arguments est la prérogative habituelle des hypocondriaques.

Le problème de la guérison est un problème religieux. Ce qui, pour emprunter une image au plan social, correspond le mieux à l'état de souffrance de la névrose, c'est la guerre civile. Par la vertu chrétienne, qui fait aimer ou accepter l'ennemi, et par le pardon, les hommes guérissent l'état de souffrance entre les hommes. Ce que par conviction chrétienne on recommande à l'extérieur, il faut l'appliquer sur le plan intérieur dans la thérapie des névroses. C'est pourquoi les hommes modernes ne veulent plus entendre parler ni de faute, ni de péché. Ils ont assez à faire avec leur mauvaise conscience personnelle, déjà lourdement chargée : ce qu'ils désirent apprendre, c'est comment on peut se réconcilier avec ses propres turpitudes, comment on peut aimer l'ennemi qu'on a dans son propre coeur, et comment on peut dire Frère au loup qui nous dévore. »

Carl Jung, L'Âme et la vie (Médecin et malade).

4 commentaires:

  1. j'ai adoré votre signaturesous mon instantanée. erci de votre visite. je couche plus avec les textes qu'avec....
    ce texte de Young oui, je couche avec.
    belle journée cher moine bleu.

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  2. Si au lieu de rêvasser, j'avais un peu lu et réfléchi, je ne poserais sans doute pas la question, mais pourquoi Ernst Bloch traite-t-il Jung de fasciste, écumant de surcroît ? En veut-il à la psychanalyse ou juste à Jung ?
    Catherine
    (non, cette question n'est pas extraite d'un sketch des inconnus)

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  3. Chère Catherine, les outrances de Bloch demeurent des outrances. Bloch exagère, sans doute. Mais exagérer, après tout, c'est vivre. Il faut dire beaucoup de conneries - se repoussant immédiatement l'une l'autre - afin de saillir une vérité d'importance. Le piquant de la chose est la reprise blochienne de l'archétype de Jung. Un archétype, une fois de plus, tourné vers l'avant, vers le futur, et non vers quelque strate préhistorique à la source de quoi nous nous nourririons tous, comme chez Jung. Le souci, chez Bloch, avec les diverses sectes de la psychanalyse, est ainsi au fond toujours le même : promouvoir cet inconscient à venir (et non figé, et figeant, dans le passé) : ce fameux " non-encore-conscient " dont Bloch voit, par excellence, l'exemple dans les rêves éveillés.
    Quant à parler de " fascisme écumant " au motif, par ailleurs pertinent, d'une certaine judéophobie délirante de Jung, c'est oublier certains textes où le nazisme - comme folie nationaliste collective - se trouve justement stigmatisé par Jung, des textes dont la traduction française avait notamment été détruite par la Gestapo durant l'occupation. L'affaire est compliquée et Jung n'est évidemment pas blanc-bleu. Il est, c'est certain, profondément irrationaliste - contrairement à Freud, pour nous l'un des plus grands Aufklärer qui aient été. Bref. Bloch, comme stalinien, exagère. Mais, comme dissident, cette fois, il ne rejette pas abstraitement la psychanalyse a priori comme " science bourgeoise dégénérée" ou autre épithète du même genre. Autrement dit, il donne des gages au Parti lyssenkiste pour avoir les mains (et la tête) libre. La raison profonde du choix de ce texte de Jung est paradoxalement une certaine proximité avec certains élans adorniens ou andersiens concernant cet élément central mystérieux de la personnalité que la psychanalyse " briserait " à mesure qu'elle le " libérerait " : un processus que Jung rapproche ici, assez subtilement, de l'amputation. Pourquoi débarrasser autoritairement quiconque d'une névrose fonctionnelle si celle-ci l'aide à mettre un pied devant l'autre, et guide son équilibre ? Fascisme écumant que tout cela ? Comme on le voit, aujourd'hui comme hier, les polarisations et lignes de fractures ne sont parfois guère évidentes à déterminer. On vous embrasse, en tout cas.

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